Le tableau ci-dessous, dû à Charles Escribe (1869-1914, un peintre largement méconnu, ce qui est dommage), nous a été communiqué par un confrère de La Sabretache, cette belle société d'histoire à laquelle nous sommes très attachés.
Il rend l'atmosphère de la participation des marins à la défense du territoire national, sans être rigoureusement exact au plan de l'uniformologie. Mais remarquons que l'artiste n'était pas en mesure d'observer les opérations de la guerre franco-allemande ; il n'avait qu'un an lors de cette tragédie.
Où peut bien se dérouler cette scène ? Dans les faubourgs de la capitale, qui fut défendue par près de 9 000 marins provenant des différents ports de guerre (sans compter les plus de 3 000 fantassins et artilleurs des troupes de la Marine) ? Ou des rues de Rouen dont la défense fut un temps attribuée au capitaine de vaisseau Mouchez et en particulier à ses marins ? Ou bien des ruelles d'Orléans dont fut responsable le capitaine de vaisseau Ribourt au sein de la 1re armée de la Loire ? Ou encore à Amiens, à la défense de laquelle les marins contribuèrent ? Les réponses possibles sont nombreuses, tant l'engagement des marins à terre fut marquant pendant ce conflit.

Au plan de l'uniformologie, nous avons une seule objection. Elle porte sur les quartiers-maîtres et matelots qui sont cependant globalement très bien représentés, en chemise de molleton ou en caban, armés de fusils Chassepot. Elle concerne les bonnets qui ne sont pas du modèle adopté le 21 février 1870 et donc porté pendant les combats de 1870. Cela se voit à deux "détails" : le bonnet du modèle 1870 comporte un bandeau avec une bande garance, invisible ici quel que soit l'angle d'observation, mais aussi une jugulaire constituée de deux cordons de fil noir qui se nouent sous le manton en cas de besoin, mais est placé à l'intérieur de la coiffure quand elle n'est pas utile. En 1870, en aucune façon ne se trouve sur le bonnet une jugulaire en lacet blanc qui n'apparaîtra officiellement qu'en 1878, et qui figure bien ici.
Notons que cette erreur fut fréquemment commise, y compris par des illustrateurs très sérieux comme Maurice Toussaint (voir à gauche ci-dessous), qui ajoutent à cet écart relatif à la jugulaire celui de l'incompatibilité des deux bandes garance du pourtour, caractéristiques des modèles 1858 et 1872, avec la houppette exclusivement garance, alors qu'elle est bleue et garance sur le modèle 1858.
Une deuxième oeuvre d'Escribe à droite ci-dessous reprend le défaut du bonnet, mais est néanmoins remarquable : des matelots y gardent des prisonniers prussiens. Le clairon du 1er plan pose avec ses décorations (médaille commémorative de l'expédition de Chine de 1860 et une autre), ce qui paraît bien improbable en situation opérationnelle... Cette gouache est néanmoins très belle.
Le rapport fait à l'Assemblée nationale au nom de la deuxième commission sur l'état de la marine en 1871 rend compte de l'engagement de cette dernière : "A défaut d’une lutte maritime [rappelons qu'elle en fut privée par la marine allemande qui, en infériorité patente, refusa le combat], notre flotte a su accepter d’être le plus puissant auxiliaire possible de l’Armée. L’histoire impartiale dira avec quelle ardeur, quelle abnégation, quel esprit d’ordre et de discipline, elle a rempli son rôle et les hauts faits de nos marins resteront inscrits dans les fastes de cette guerre gigantesque, parmi ceux qui ont le plus honoré le drapeau de la France."
L'engagement des marins pendant cette guerre sera à retrouver dans mon ouvrage sur La Marine et les marins dans la guerre de 1870, à paraître en 2025.
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