En pleine rédaction de notre futur ouvrage sur la marine et les marins dans la guerre de 1870, nous avons choisi d'évoquer aujourd'hui l'amiral Charles Rigault de Genouilly, sur la base de trois photographies et d'un buste en bronze récemment vendu aux enchères.
Né en 1807, Rigault de Genouilly devint marin à la sortie de l'École polytechnique en 1827. Il eut une très belle carrière, s'illustrant dans de nombreuses opérations conduites par la marine française : l'expédition d'Alger en 1830, le forcement des passes du Tage en 1831, l'expédition d'Ancône en 1832, la lutte contre les pirates des Philippines en 1844, l'attaque de Tourane en 1847, la Crimée en 1854 – il était alors capitaine de vaisseau et capitaine de pavillon du futur amiral Hamelin.
Comme officier général – il fut promu contre-amiral le 2 décembre 1854 – sa carrière se poursuivit avec de grands commandements et de hautes responsabilités : le commandement des batteries de la marine débarquées à terre lors du siège de Sébastopol en 1855, le commandement en chef de la division navale de la Réunion et de l'Indochine en 1856, d'où le commandement "du corps expéditionnaire dans ces parages" le 15 septembre 1858. Il avait été promu préalablement vice-amiral le 9 août 1858.
Suivirent la nomination comme sénateur en 1860 – il était fréquent à l'époque que des officiers généraux le devinssent –, l'accès au commandement de l'escadre d'évolutions le 11 janvier 1862, l'élévation à la dignité d'amiral le 27 janvier 1864, la nomination comme président de la commission supérieure de l'établissement des Invalides de la marine le 26 février 1866 et enfin la nomination comme ministre de la marine le 20 janvier 1867.
C'est surtout son action comme ministre de la marine que nous voulons évoquer et, en particulier, au moment où bien des indices indiquaient qu'une guerre contre la Confédération de l'Allemagne du Nord, constituée autour de la Prusse, allait intervenir.
Certes, la marine impériale était belle. Elle occupait la deuxième place mondiale, derrière la Royal Navy, et au cours des années 1850-1860 avait parfois disputé la première place à cette dernière. Et pourtant, quel état d'impréparation en vue d'une guerre qui semblait inéluctable...
Une flotte magnifique, mais encore sur le pied de paix au début de juillet 1870, avec très peu de bâtiments disponibles au plan du personnel : en quelques jours, il allait falloir trouver 780 officiers supplémentaires et 15 700 marins, dont 5 000 spécialistes (mécaniciens et canonniers), pour armer tous les bâtiments nécessaires.
Une expédition en Baltique planifiée de longue date, mais aucunement déclinée en plans d'opérations, notamment s'agissant du transport du corps de 40 000 hommes et 12 000 chevaux projeté : comment ignorer alors que la quasi-intégralité des transports militaires allait inévitablement être monopolisée au cours des premières semaines du conflit par le rapatriement des troupes stationnées en Algérie, indispensables pour atténuer le déficit numérique de l'armée impériale par rapport aux armées allemandes ?
Pourquoi, si ce n'est par une ambition personnelle démesurée et par inimitié, avoir manoeuvré pour obtenir le commandement de cette expédition (en cumulant les fonctions de ministre !) au lieu de l'avoir laissé d'emblée au vice-amiral Bouët-Willaumez – ce dernier avait bien étudié l'opération – qu'il n'appréciait pas depuis la Crimée ?
Rigault de Genouilly, bien vu par l'Impératrice, fut le seul ministre à conserver son portefeuille le 10 août 1870, après les premières défaites de l'armée française. Mais il fut emporté par la chute de l'Empire le 4 septembre 1870.
Il mourut à Paris en 1873, après avoir été entendu dans le cadre de l'enquête parlementaire de 1872 au cours de laquelle il défendit son bilan...
S'il y eut un croiseur de 2e classe puis un aviso colonial baptisés Rigault de Genouilly, ce fut sans doute pour magnifier son action en Indochine, pas pour saluer ses actes au cours des premières semaines de la guerre franco-prussienne !
La photo de gauche représente Rigault de Genouilly en vice-amiral en habit de grande tenue (deux rangs de broderies aux parements). Il était Grand Officier de la Légion d'honneur depuis le 2 octobre 1855. Il n'était pas, au moment du cliché, "commandant en chef" puisque son bicorne est à plume noire ; il le serait à nouveau en 1862 en prenant la tête de l'escadre d'évolutions. La présence de la Médaille militaire qui semble lui avoir été conférée en 1860, à son retour d'Indochine, indiquerait une prise de vue entre 1860 et 1862... Mais se pose cependant une question. Un officier général perdait-il la plume blanche de son chapeau dès lors qu'il quittait ses fonctions de commandant en chef ? Ou le commandement en chef d'une division navale n'était-il pas d'un niveau suffisant pour attribuer la plume blanche au chapeau d'un officier général, fusse-t-il vice-amiral, cas de Rigault de Genouilly de 1858 à 1860 ? La décision ministérielle du 22 octobre 1853 qui attribue la plume blanche aux commandants en chef n'apporte aucune précision sur ce point...
Sur les deux clichés de droite, Rigault de Genouilly est amiral, avec ses trois rangées de broderies au collet de l'habit de cérémonie (riches broderies sur le devant, les basques, les coutures des manches). Il est ici Grand Croix de la Légion d'honneur, dignité qui lui a été accordée le 30 décembre 1864. La photo du centre doit dater de 1865 ou 1866, quand celle de droite, où l'amiral paraît plus âgé, pourrait être postérieure.
Voici maintenant le buste en bronze passé récemment en salle des ventes. Il est de très belle facture et présente un vif intérêt pour les broderies de l'habit de cérémonie, les décorations et les épaulettes.
L'Amiral Rigault de Genouilly y est décoré de la Légion d'honneur (GC), de la médaille militaire, de la plaque de commandeur de l'ordre militaire de Savoie et de chevalier-commandeur du Bain (les spécialistes de phaléristique voudront bien rectifier si nous avons commis une erreur).
On notera avec un grand intérêt la représentation d'une épaulette d'amiral ornée des sept étoiles avec, au centre, les bâtons croisés posés sur une ancre couronnée, disposition qui pose question. En effet, le décret de 1891, qui est le premier texte réglementaire par lequel la marine fixe de A à Z l'uniforme des officiers généraux de marine, ne se contentant pas de poser que l'uniforme des amiraux est conforme à celui des généraux, sauf pour quelques particularités peu énoncées, montre le dessin d'une épaulette d'amiral avec sept étoiles et deux bâtons croisés mais sans ancre... Alors, de 1830, date à laquelle la dignité d'amiral a été conférée pour la première fois depuis sa réinstauration – ce fut l'amiral Duperré – et 1873, date à laquelle est décédé le dernier amiral à sept étoiles – Rigault de Genouilly – les épaulettes des amiraux ont-elles réglementairement porté l'ancre, que celle-ci soit couronnée ou non ?
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