L'amitié et les réflexions de deux officiers de la marine royale vers 1786
- marine-maubec
- 20 mai
- 4 min de lecture
Grâce à M. Ralph de Butler, nous pouvons nous intéresser aux liens d'amitié entre deux officiers de vaisseau à la fin de l'Ancien Régime. Ces deux officiers sont Jean Richard Antoine de Butler et Claude Charles Denys de Bonnaventure. Ils entretinrent une correspondance au moins entre 1784 et 1788, évoquant les évolutions de la Marine royale et les perspectives de ses opérations, dont la lutte contre l'Angleterre.
Butler naquit en 1741 à La Rochelle et entra dans la Marine royale en 1757 en qualité de garde marine. Embarquant sur plusieurs bâtiments, promu enseigne de vaisseau le 27 novembre 1765, puis lieutenant de vaisseau le 4 avril 1777 (référence : Etat de la Marine 1782), il fut contraint de débarquer du vaisseau Pluton le 21 septembre 1779, puis de se retirer pour raison de santé dans sa demeure, le logis des Crapeaudières, dans le quartier de Laleu à La Rochelle en 1782 (il n'apparaît pas dans l'Etat de la Marine de 1783). Il avait été décoré de la croix de chevalier de Saint-Louis le 4 novembre 1778. Il mourut en décembre 1788.
Sur le portrait ci-dessous, peint en 1776, il est vu en grand uniforme de lieutenant de vaisseau tel que défini par l'ordonnance du Roi du 14 septembre 1764, sur lequel s'ajoutèrent en 1768 ou 1770 les épaulettes en or ornées de franges libres.

Mais alors ce tableau de 1776 aurait-il été retouché après la promotion de l'intéressé au grade de lieutenant de vaisseau un an plus tard ?
Un des amis de Butler est Bonnaventure. Ce dernier est également officier de vaisseau, né au Canada en 1749. Il entra dans la Marine comme garde marine en 1766 et fut promu lieutenant de vaisseau le 13 mars 1779, puis major de vaisseau, l'équivalent de capitaine de frégate, le 1er mai 1786 (référence : Etat de la Marine 1787). Il reçut la croix de chevalier de Saint-Louis le 10 octobre 1779.
Sur le portrait ci-dessous, il est représenté dans un uniforme que nous peinons à reconnaître. Le collet montant n'est adopté qu'à partir de l'ordonnance du Roi du 1er janvier 1786 et sur le seul petit uniforme dont les parements devraient être bleus. Or, appartenant à la 9e escadre basée à Rochefort, si son collet est bien rose, la couleur de ses parements paraît identique, ce qui est une anomalie... Le port de l'épaulette à grosses torsades signerait le grade de major de vaisseau, détenu par l'intéressé depuis mai 1786, mais les broderies de l'habit s'apparente à celles définies en 1764. Deuxième anomalie. Alors, ce portrait aurait-il été également retouché ? Un spécialiste de l'Ancien Régime nous viendra peut-être en aide...

Resté dans la Marine, alors que Butler s'en était retiré, Bonnaventure maintint son ami au courant des grandes évolutions de l'Institution et de ses infrastructures, ainsi que des opérations réalisées ou projetées compte tenu de l'évolution du contexte stratégique. Parmi les courriers que nous avons pu consulter, nous avons retenu tout particulièrement la lettre du 16 janvier 1785 qui évoque les travaux en rade de Cherbourg et leur objectif : « Le Roi veut que cet ouvrage s’achève et s’il persiste il réussira. Rien n’est impossible quand on a la volonté de combattre les difficultés et si les hommes connaissaient leurs forces, ils diraient dans tous les cas, il est des choses bien difficiles mais il en est peu d’impossibles. Si nous parvenions par la suite des mêmes à avoir la retraite de Cherbourg, nous pourrions espérer de n’avoir plus de guerre bien longue avec l’ Angleterre. En voici la raison : nous mettrions cette nation partout sur la défensive, en effet, en rassemblant à la première campagne de la guerre tout ce que nous aurions de vaisseaux à Cherbourg. Supposons 50 embarquant sur chacun 500 hommes de troupe partant à l’entrée de la nuit pour l’île de Wight, nous nous trouverions le lendemain au mouillage de Spithead, débarquant donc 25 000 hommes à Portsmouth à la faveur du feu de 50 vaisseaux embossés. Il nous serait sûrement facile d’incendier cet arsenal. Après quoi, nous retirant avec nos troupes dans l’île de Wight, nous attendrions qu’on nous fît des propositions de paix, ce qui ne manquerait pas d’arriver. De cette manière, nous ne fatiguerions pas nos troupes et nos équipages par des campagnes à l’Amérique et dans l’Inde où nous perdons toujours beaucoup de monde par le scorbut et autres maladies, sans compter ce que les combats d’armées à nombre égal nous détruisent d’hommes et de machines sans avantages. C’est ce que nous avons eu durant cette dernière guerre. Les suites de ces combats indécis ont cependant fait pencher la balance de notre côté, puisqu’ils ont presque toujours donné lieu à quelques conquêtes d’îles. Mais cela s’explique aisément, nous avons toujours beaucoup plus de troupes qu’eux et nous nous entendons mieux que les Anglais à la guerre des sièges. Ainsi, dans tous les cas où la Marine de France pourra balancer celle d’Angleterre, il nous restera l’avantage qui résulte de notre prépondérance par terre. » Celle du 26 mars 1786 est également intéressante puisqu'elle décrit à celui qui n'est plus marin mais conserve un grand attachement à l'Institution les mesures découlant des ordonnances royales du 1er janvier 1786 (nouveaux grades des officiers de vaisseau, création et particularités uniformologiques des neuf escadres, ...).
Signe de la grande amitié liant Butler et Bonnaventure, en 1790 ce dernier se maria à Pélagie de Butler, née en 1774, orpheline de père depuis moins de deux ans.
Pour terminer, voici deux lieutenants de vaisseau en 1770, dessinés par Valmont, pour une comparaison avec l'uniforme porté par Butler.
Comments