Sera prochainement en vente aux enchères ce tableau très instructif sur l'uniforme des officiers de vaisseau nobles qui choisirent de quitter la France en 1791 et 1792.
Ce portrait représente le lieutenant de vaisseau de Cheux, né en 1759, qui quitta la France le 7 décembre 1791, nous indique le texte situé en bas du tableau, pour rallier l'armée des Princes où il servit dans une compagnie (sic) de cavalerie.
Le livre du vicomte Grouvel, Les corps de troupe de l’émigration française (1789 – 1815) – Tome 3, donne quelques chiffres relatifs aux lieux de résidence des officiers émigrés pendant la Révolution.
En novembre 1791, les officiers de la marine royale sont en grand nombre à Enghien en Belgique, cantonnement du corps royal de la marine de l’armée des Princes, non loin de Montmédy, lieu où ce portrait fut peint. Ainsi, 4 chefs d’escadre, 11 capitaines de vaisseau, 13 majors de vaisseau, 120 lieutenants de vaisseau, 8 sous-lieutenants de vaisseau, 32 élèves de la marine, 15 volontaires de la marine formaient l’essentiel de 4 compagnies d’infanterie et d’une compagnie de cavalerie.
En mai 1792, le corps royal de la marine de cette armée comptait 8 compagnies d’infanterie et 2 compagnies de chasseurs à cheval basées à Montmédy, ensemble totalisant 598 hommes.
Ce corps paraît avoir été licencié en novembre 1792, certains officiers rejoignant alors l’armée de Condé. C'est semble-t-il le cas de ce lieutenant de vaisseau.
En 1794, 231 officiers de vaisseau français résidaient en Angleterre, dont 2 lieutenants généraux, 4 chefs d’escadre et 9 chefs de division. En 1798, 52 officiers séjournaient en Espagne, dont 3 chefs d’escadre, alors que la Russie accueillait 22 officiers, dont 13 servaient dans la marine du tsar. D’autres encore étaient au Piémont en 1792, au Portugal et en Autriche. Et tout cela sans compter les officiers qui rejoignirent les Vendéens et les Chouans (un chef d’escadre, un capitaine de vaisseau et 24 officiers de moindres grades)…
Au bilan, sur près de 1 600 officiers du grand corps au 1er janvier 1789, 1 200 environ étaient nobles et plus de la moitié de ces derniers prirent les armes contre les armées de la République.
Le parcours de Charles Alexandre Anne de Cheux dans la marine française est intéressant. Nous pouvons déduire des Etats de la Marine une partie de son cursus. Celui de 1790 nous indique qu'il était lieutenant de vaisseau depuis le 1er mai 1786, grade qu'il avait encore lorsqu'il quitta la France. Et celui de 1816, alors qu'il n'apparaît sur aucun des Etats de la marine sous l'Empire, qu'il fut réintégré dans la Marine royale le 1er juillet 1814, à la première Restauration, avec le grade de capitaine de vaisseau.
Voici donc un lieutenant de vaisseau émigré qui ne connut aucun service à la mer pendant vingt-trois années mais fut promu capitaine de vaisseau au retour de Louis XVIII, situation assez fréquente : sur les 111 capitaines de vaisseau de 2e classe que comptait alors la Marine, 68 n'avaient manifestement pas servi sous l'Empire...
De Cheux n'apparaît plus dans l'Etat général de la Marine de 1818 (nous ne disposons pas de celui de 1817), ce qui montre que cette promotion fut sans lendemain et en quelque sorte honorifique. En effet, un important dégagement des cadres intervint le 22 octobre 1817 : " L’état de paix et la situation de nos finances commandent de fortes réductions dans le corps de la marine, tel qu’il a été constitué par nos ordonnances des 1er juillet 1814 et 29 novembre 1815 ; … ; que l’existence d’un personnel trop nombreux nuit à l’instruction pratique et à l’avancement des officiers appelés à nous servir, sans qu’il en résulte aucun avantage pour ceux qui ont acquis des droits à une honorable retraite ; …" constatait alors le ministre.
Analysons l'uniforme de ce lieutenant de vaisseau cavalier. Nous le replaçons entre les tenues prescrites en 1786, à gauche, en 1792 en 3e position, et en 1793 à droite.
Le chapeau est naturellement à cocarde blanche. L'habit s'apparente à celui de 1786, voire 1792, mais son collet paraît droit et est bleu-de-roi (couleur adoptée pour les officiers non attachés à une escadre, ce qui semble logique) ; sont portées les épaulette et contre-épaulette du grade. La veste est écarlate. De Cheux se distingue nettement des officiers de la marine royale par le port du sabre – arme logique pour un cavalier – d'un modèle courant dans l'armée de Condé, accroché à un ceinturon fermé par une plaque portant une ancre et une fleur de lys.
Le lieutenant de vaisseau de Cheux semble avoir reçu la croix de Saint-Louis dans l'armée de Condé, car il n'était pas chevalier en 1790, à moins que la décoration ait été ajoutée postérieurement sur son portrait (il était bien chevalier en 1816).
Les informations de ce billet sont issues de notre ouvrage sur Les marins français. 1789 – 1830. Étude du corps social et de ses uniformes, et des recherches réalisées par notre confrère de La Sabretache Hugues de Bazouges qui s'apprête à publier deux livres avec Alistair Nichols chez HELION respectivement en fin d'année et en 2025 sur L'Armée des Princes (1791-1792) et sur L'Armée de Condé (1793-1801).
Attention, ce portrait, comme plusieurs portraits similaires, a été peint à Malmédy, en Belgique, et non à Montmédy, en France. Le collet de l'uniforme n'est pas droit, mais rabattu. On ne le voit pas clairement ici puisque le collet bleu foncé disparaît dans le bleu foncé de l'habit. D'autres portraits montrent mieux ce collet rabattu, tel que le portrait du lieutenant de vaisseau Bidé de Maurville, peint en 1792, à trouver dans Neptunia 121, p. 21, ou celui du lieutenant de vaisseau Cacqueray de Valmenier qu'on trouve ici :
https://sehri.forumactif.com/t2412-le-regiment-d-hector
Hughes de Bazouges dit ceci à propos de l'uniforme (ibid.):
"... je voudrais souligner ici quelques détails uniformologiques, puisque nous voici en présence de trois portraits d'officiers ou d'élève de…