1915. Un capitaine de vaisseau meurt dans le détroit des Dardanelles
- marine-maubec
- 28 oct.
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Dernière mise à jour : 29 oct.
Grâce aux photographies et aux documents fournis par notre confrère de La Sabretache le contre-amiral Eric Vicaire, nous pouvons évoquer la fin tragique du capitaine de vaisseau Valentin Rageot de la Touche, commandant du cuirassé d'escadre Bouvet lors de l'expédition des Dardanelles, opération lancée en février 1915, à l’instigation de Winston Churchill, premier Lord de l’Amirauté.
Le 18 mars 1915, après avoir reçu plusieurs obus turcs lui causant des dommages importants – noter que sa pièce de 305 mm fut rendue inopérante non par les coups de l'ennemi, mais du fait de l'asphyxie de ses servant à la suite d'un dysfonctionnement de son système d'extraction de la fumée produite par l'emploi de la pièce –, mais ne remettant pas en cause l'intégrité de la coque, le Bouvet heurta une mine en début d'après-midi et coula rapidement du fait d'un défaut de conception du compartimentage.
Voici ce que Rageot de la Touche écrivait à son beau-frère, le 12 mars 1915 : "Les forts ne sont pas à dédaigner ! Le 7 février nous avons pénétré dans le détroit avec la division française et deux cuirassés anglais à 10 heures du matin. Dès 10h30 les batteries ouvraient le feu sur nous et nous sommes ainsi restés à nous battre avec les forts des deux rives jusqu'à 4h30 du soir. Nous étions bien encadrés par leurs projectiles et avons eu de la chance de n'en recevoir aucun, car une dizaine d'entre eux sont tombés à nous toucher, nous inondant par l'eau des gerbes provoquées par les chutes de leurs gros obus. Nous avons même reçu pas mal d'éclats qui n'ont causé d'ailleurs aucun dommage. Entre temps on manoeuvrait pour parer une mine que l'on apercevait tout près à la surface.
C'était un spectacle tout à fait intéressant que ces manœuvres des six cuirassés évoluant avec aisance dans une zone battue par les feux croisés de plusieurs batteries, ripostant de toutes leur pièces, chaque cuirassé ayant un objectif différent pour bien régler son tir. J'étais ravi et enchanté d'être aux premières loges. Nous sommes sortis à 8 heures du soir du détroit pour aller mouiller et nous reposer la nuit. Nous avons eu depuis d'autres engagements dans le détroit ou au Nord dans le golfe de Saros où nous avons eu à tirer au canon mais nous n'avons été engagés qu'avec des batteries de 15,5 cm et cela ne nous inquiétait guère, en deux ou trois salves de notre artillerie moyenne nous les faisions taire. Hier encore nous avons patrouillé à l'intérieur des Dardanelles, mais hors de portée des grosses pièces de Chanak et n'avons eu maille à partir qu'avec des batteries de 15 et de campagne que nous avons réduites au silence.
Je suis heureux de voir mon vieux Bouvet faire entendre la voix de ses canons dans le concert, et quand j'en quitterai le commandement, j'aurai éprouvé toutes les satisfactions du marin."

Rageot de la Touche est ci-dessus chevalier de la Légion d'honneur. Or il fut promu officier le 11 juillet 1909 et capitaine de vaisseau en 1910. Il fut donc photographié alors qu'il était encore capitaine de frégate, grade détenu depuis 1903, dont le grand uniforme ne pouvait être distingué de celui de capitaine de vaisseau de face et sur une photographie en noir et blanc (écusson de taille à l'arrière pour le capitaine de vaisseau, corps d'épaulette en or pour ce dernier alors qu'il était en argent pour le capitaine de frégate). Ceci nous amène à affirmer que la photographie ci-dessus fut prise entre 1903 et 1909. Dans la mesure où le port du grand uniforme fut supprimé par le ministre Pelletan le 4 août 1903, il est possible d'affirmer que le cliché date de 1903, avant le 4 août, alors que Rageot de la Touche venait d'être fraîchement promu capitaine de frégate. La présence des aiguillettes signe une fonction éminente au sein d'un état-major (celui de l'escadre de la Méditerranée ?).
Et voici, admis au service actif en 1898, le "vieux Bouvet", comme Rageot de la Touche le surnommait (BNF/Gallica). Un cuirassé ancien en 1915, à la conception dépassée et à la faible résistance aux avaries de combat, comme le constatait en 1910 son commandant, le capitaine de vaisseau Papaïx : "Le système défensif laisse à désirer. Nous avons demandé un conduit direct entre les deux pivots de 27 [274] pour empêcher un chavirement possible si une brèche importante venait à se produire dans l'un de ces compartiments latéraux par collision ou explosion de torpille", un plaidoyer en faveur de modifications qui ne seraient jamais réalisées. Et ce qui était craint se réalisa...

Et voici une vue LIDAR de l'épave du Bouvet reposant, retournée, sur le fond de 60 mètres de profondeur.

Ci-dessous, deux photographies de récentes cérémonies commémoratives auxquelles Eric Vicaire a participé sur place. Des 717 marins embarqués, 647 périrent lors de la perte du bâtiments ou dans les jours qui suivirent. Le capitaine de vaisseau Rageot de la Touche fit naturellement partie des victimes.
Voici un autre arrière-grand-père d'Eric Vicaire. Il s'agit du capitaine de vaisseau Joseph Moyret, promu le 18 janvier 1920, cité tardivement le 29 avril 1921 pour son action au Cameroun et à Kherson, en mer Noire. Il arbore six chevrons d'ancienneté sur la manche gauche qui représentent trois années et demie d'embarquement en zone de guerre pendant la Première Guerre mondiale. Sur ce cliché, il avait alors 53 ans et avait été admis à la retraite à sa demande.

Joseph Moyret porte ici la "tenue provisoire de cérémonie" (il lui manque le bicorne), tenue la plus élaborée au cours des années qui suivirent la Première Guerre mondiale, du fait des restrictions ; on espérait encore que le port de l'habit brodé pourrait être rétabli, mais ce ne serait jamais le cas... Tout au plus, certains habits pourraient être revêtus tels quels ou transformés en habits de soirée...









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