Cette photo nous a été aimablement communiqué par M. Christophe Rochet, une connaissance de presque 20 ans, que nous voulons ici saluer pour sa fidélité à échanger d'excellents clichés de marins.
Nous sommes ici en présence de marins du cuirassé Bretagne prêts à opérer en tant que fantassins. Ils s'agit très probablement de membres du corps du débarquement du bâtiment, mais leur uniforme étonne.

Le quartier-maître fusilier Jean Le Griffon, repéré par La Croix, écrit à sa soeur en janvier 1917 que, compte tenu des missions assignées, il n'est plus marin, mais soldat. Il est vrai qu'il y a au plan vestimentaire de quoi se perdre, notamment avec ces capotes bleu horizon empruntées à des régiments aux numéros 9 et 15.
Mais d'abord, que faisaient ces marins à Corfou ?
Le cuirassé de 23 500 tonnes Bretagne avait été admis au service actif en février 1916 ; il rejoignit l'armée navale en mai suivant. Il était alors affecté à la 1re division de la 1re escadre de ligne qui resta stationnée en rade de Corfou à partir d'octobre 1916 (https://imagesdefense.gouv.fr/fr/en-rade-de-corfou.html).
Sur les raisons du mouillage prolongé de l'escadre en ce lieu, les avis divergent. Pour certains, la situation était justifiée par un manque de combustible (charbon) disponible sur place ; pour d'autres, la priorité accordée par la Marine à la lutte anti-sous-marine – en Méditerranée, avec le ralliement de l'Italie aux Alliés en 1915 et la participation de celle-ci au dispositif du barrage du canal d'Otrante, bloquant en Adriatique les cuirassés autrichiens, les cuirassés français n'étaient plus si utiles – avait conduit à des prélèvements importants sur les états-majors et les équipages pour armer de nombreux patrouilleurs affectés à cette mission contre les sous-marins. La Bretagne ne rentrerait à Toulon qu'à la fin de novembre 1918.
Quoi qu'il en soit, les équipages des cuirassés se trouvaient assez désoeuvrés, en dehors de quelques sorties à la mer pour des exercices.
Dans ce contexte, la photo ci-dessus est-elle une mise en scène pour montrer la fraternité d'armes qui unirait ces marins aux soldats des 9e et 15e régiments, comme l'indiquent les pattes de col, ou ces régiments ont-ils prêté des capotes aux marins stationnés à Corfou pour des activités d'infanterie ? Ou encore, des capotes en surplus avaient-elles été envoyées à Corfou, sans que les numéros de col eussent été décousues ? Malheureusement, dans la liste des corps ayant stationné à Corfou, nous n'avons trouvé aucun régiment avec ces deux numéros... Et qu'est-ce que ce calot sur l'homme de droite ? L'un de nos lecteurs trouvera-t-il une réponse à ces questions ?
En attendant, examinons ces marins emmenés par un second maître au galon à lézarde un peu bizarre avec une trame centrale très sombre. Tous ces marins portent les jambières en cuir du modèle adopté en mars 1912. En dehors de capotes de modèles divers en drap bleu horizon, dont la dotation dans la marine est une première fois mentionnée en février 1915, les matelots du premier plan portent le pantalon de fatigue en toile rousse. Ils sont armés individuellement du fusil Lebel, de sa baïonnette Rosalie et du brelage correspondant, et collectivement d'une mitrailleuse Saint-Etienne modèle 1907.
Ceux qui sont au second plan sont en tenue n°22 de 1910 avec jersey.
Au sujet de la capote d'infanterie, avant que la Marine n'adoptât son propre modèle en drap bleu foncé en septembre 1923, il nous faut signaler que, comme dans l'armée, nos marins furent équipés de modèles très divers, à coupe droite ou croisée (boutonnée à gauche ou à droite, car il n'y avait pas de petites économies en cette période de restrictions), à col droit ou rabattu, et de nuances de drap différentes, comme le montrent les photos ci-dessous.
Pendant la Grande Guerre, période difficile en matière d'approvisionnements, on ne pouvait se payer le luxe d'être très regardant...
Le Bretagne reste effectivement plusieurs mois à Corfou suite à des restrictions de charbon et cette classe était très consommatrice (tout le charbon français est alors importé). Certains marins ont été débarqués du Bretagne et mis pour emploi par exemple sur les torpilleurs de classe Arabe livrés par le Japon (qui a d’ailleurs une escadre à cette époque à Malte). On trouve quelques témoignages en ce sens. Il est possible que des marins aient également été mis à terre. Je n’ai en revanche pas trouvé de trace à Corfou de mise à disposition de marins embarqués auprès du ministère de la guerre de marins comme l’étaient les fusilliers marins, canonniers marins, météorologues, etc. Pas simple pour les régiments…si c’est bleu,…
amiral,
"un second maître au galon à lézarde un peu bizarre avec une trame centrale très sombre". ne serait ce pas un maître qui n'aurait pas upgradé sa casquette ?
Concernant le "calot" ou de son vrai nom bonnet de police il est du modèle 1891 ici en fabrication de guerre puisque BH.
On notera les bretelles de suspensions du brelage qui sont du classique modèle 1892 mais avec des crochets anciens du modèle 1848.
Les capotes des hommes de la photo de groupe, sont de type "Poiret" dans différentes versions et variantes qui sont apparues depuis la fin 1914 jusqu'à l'adoption de la capote modèle 1916.
Sur les photos individuelles, les capotes à 2 rangs de boutons (ou un seul par mesure d'économie) sont du modèle 1877 si à col droit et du modèle 1916 si le col rabattu.
Les brodequins sont du modèle 1912.
Les baïonnettes sont des…