Voici le poignant héritage d'un jeune officier de marine mort à Dixmude le 10 novembre 1914. Indépendamment de l'identité de son propriétaire, cet habit se signale par sa rareté, car il n'est pas fréquent qu'un enseigne de vaisseau de 2e classe ait conservé son habit, sa promotion au grade d'enseigne de vaisseau de 1re classe et au-delà entraînant nominalement une intervention d'un tailleur pour en changer le collet et les parements, de plus en plus richement brodés à mesure de l'élévation dans la hiérarchie. Seules deux explications peuvent être avancées pour expliquer l'existence jusqu'à nous d'un habit d'enseigne de vaisseau de 2e classe :
cet habit a été confectionné peu de temps avant la date de la suspension de son port au cours de la Grande Guerre (7 décembre 1915), qui correspond de fait à la date de la suppression effective de cet effet prestigieux, car il ne sera plus jamais porté (sauf transformation en habit de soirée).
son propriétaire est décédé dans ce grade d'enseigne de vaisseau de 2e classe.
Dans le cas présent, les deux explications sont pertinentes : son propriétaire, Marie, Antoine, Olivier de Lorgeril, appartenant à la section de mitrailleuses du 1er régiment de fusiliers marins fut grièvement blessé le 10 novembre 1914 à Dixmude et décéda peu après des suites de ses blessures.
Né en 1893, Lorgeril était entré dans la Marine en 1910. Il se trouve probablement parmi les fistots ci-dessous en tenue de cabillot (infanterie).
Après deux années d'École navale à bord du Borda, il avait embarqué sur le croiseur-école Jeanne-d'Arc. En janvier 1914, il avait été affecté à bord du cuirassé Danton de la 1re armée navale, avant de rallier la brigade Ronarc'h en septembre suivant.
Le 10 novembre, au cours d'une nouvelle attaque sur Dixmude, les Allemands commencèrent à s'infiltrer dans les rues. Les fusiliers marins contre-attaquèrent avec une énergie désespérée, mais ils furent peu à peu refoulés vers l'Yser. A la fin de l'après midi, l'amiral ordonna de faire sauter la minoterie, seul bâtiment de Dixmude encore debout, puis il donna l'ordre de la retraite. Il fit détruire les ponts derrière lui, et les décombres de la ville tombèrent pour quatre ans entre les mains des Allemands. Mais l'occupation de la ville n'avait plus alors qu'une importance secondaire car ils n'en purent jamais déboucher. Au cours de ce combat, l'enseigne de vaisseau de Lorgeril fut grièvement blessé. A ses côtés périrent ce jour-là ou des suites de leurs blessures les officiers suivants : le capitaine de frégate Rabot, les lieutenants de vaisseau Baudry, Kirsch, d'Albiat et de la Barre de Nanteuil, l'enseigne de vaisseau de Montgolfier et le médecin principal Lecoeur.
Cité à l'ordre de l'Armée navale : "Grièvement blessé le 10 novembre 1914, est resté à son poste jusqu'à la relève. Mort des suites de ses blessures", Lorgeril fut promu enseigne de vaisseau de 1re classe à titre posthume. De même, par décision parue au JO du 7 juin 1919 , il fut inscrit au tableau spécial de la de la Légion d'honneur pour le grade de chevalier.
Revenons maintenant sur ce grade d'enseigne de vaisseau de 2e classe. Il remplaça celui d'aspirant de 1re classe le 3 juin 1910. Cette modification peu importante en apparence avait au contraire une importante signification symbolique : les aspirants de 1re classe / enseigne de vaisseau de 2e classe étaient désormais pleinement considérés comme des officiers. Cette démarche de normalisation avait débuté le 21 juillet 1900 avec l'apparition des broderies simples (sans feuilles d'acanthe) au collet et aux parements de l'habit, car avant cette date, les aspirants de 1re classe n'avaient droit au port que de l'équivalent de l'ex-habit de petite tenue dans officiers, c'est-à-dire avec un collet et des parements vierges de toute broderie. Le même texte leur attribua les épaulette et contre-épaulette d'enseigne de vaisseau, mais portées à l'inverse (à droite l'épaulette, à gauche la contre-épaulette), ce qui conduisit parallèlement à la suppression du port des aiguillettes entièrement or. Les aspirants de 2e classe, devenus aspirants "tout court", conservèrent ces dernières "sabordées" de bleu.
Marie, Antoine, Olivier de Lorgeril est inhumé à la Nécropole nationale Saint-Charles de Potyze à Ypres (province de Flandre occidentale).
Voici cet habit muni de l'épaulette à droite et de la contre-épaulette à gauche. Il est d'une grande sobriété avec ses ancres au collet et ses baguettes en dents de scie.
L'habit est très sobre, "dans son jus", avec ses fausses poches marquées par trois boutons sur chaque basque et ses boutons à tête plate dits "tibis" à l'intérieur du collet, servant à maintenir un col de lingerie dit "col militaire" (un col empesé). Il permet de rendre hommage à un jeune officier parti trop tôt...
Comments